Correspondance Malmi Nakamoto
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La correspondance entre Martti Malmi et Satoshi Nakamoto

Le 23 février 2024, alors que se tenait le procès qui opposait Craig Steven Wright à la COPA (Crypto Open Patent Alliance), un évènement concomitant a marqué tous les passionnés de l’histoire de Bitcoin. Martti Malmi, ancien développeur du logiciel principal et bras droit de Satoshi Nakamoto entre 2009 et 2010, a publié la correspondance privée par courrier électronique qu’il entretenait avec le créateur de Bitcoin. Dans ces courriels, on retrouvait une multitude de détails intéressants qui permettaient d’éclaircir ce qui s’était passé à cette époque-là et de confirmer quelques aspects de la personnalité de Satoshi.

Martti Malmi a publié cette correspondance sur son site personnel. Il s’agit d’une archive incomplète, constituée de 260 courriels, couvrant la période entre mai 2009 et février 2011. On sait en effet que ses échanges avec Satoshi ont eu lieu jusqu’en mai 2011, mais qu’il avait changé d’adresse entretemps. Comme raison expliquant cette publication tardive, il a indiqué :

« Je ne me sentais pas à l’aise de partager des échanges de correspondance privée par le passé, mais j’ai décidé de le faire pour un procès important au Royaume-Uni en 2024, dans lequel j’étais témoin. De plus, il s’est écoulé beaucoup de temps depuis que ces courriels ont été envoyés. »

Ces courriels ne sont pas entièrement nouveaux dans le sens où le journaliste Nathaniel Popper avait déjà eu l’occasion de les consulter en 2015 lors de l’écriture de son livre Digital Gold, qui retraçait les débuts de l’histoire de Bitcoin. Il avait en effet pu interroger Martti Malmi, qui lui avait fourni ces courriels, et des extraits de ces échanges étaient abondamment cités dans le livre.

La prise de contact

Martti Malmi est un personnage important dans l’histoire de Bitcoin. Finlandais, il a été actif dans Bitcoin entre 2009 et 2011, avant de prendre un emploi à plein temps et de s’éloigner progressivement de Bitcoin. Il utilisait le pseudonyme sirius-m sur SourceForge, un pseudonyme qu’il a conservé lors de de son implication dans Bitcoin.

En 2009, Martti Malmi est un jeune étudiant en informatique à l’Université technologique d’Helsinki située à Espoo à l’Ouest de la capitale. Il découvre Bitcoin en avril grâce à son intérêt passager pour le crypto-anarchisme de Tim May. Le 9, il teste le système et mine ses premiers bitcoins avec son ordinateur portable (bloc 10 351). Dans la soirée il rédige un court texte de présentation de Bitcoin, qu’il publie sur le forum anti-state.com et celui de Freedomain Radio. Ces deux forums ont pour point commun de promouvoir largement la liberté de l’individu face à l’État, mais ils diffèrent dans leur sensibilité : le premier est de tendance libertarienne de gauche, prônant un anarchisme de marché anti-capitaliste, tandis que le second appartient à la droite anarcho-capitaliste rothbardienne, étant rattaché à la personne de Stefan Molyneux.

Dans son texte au ton résolument agoriste, intitulé P2P Currency could make the government extinct?, Martti Malmi écrit :

« Comme le Liberty Dollar et certaines monnaies locales nous l’ont montré, nous ne pouvons pas nous fier à une monnaie émise de manière centralisée qui peut être facilement arrêtée par l’État. À la place, nous pourrions avoir un système monétaire alternatif basé sur un réseau p2p décentralisé. En faisant quelques recherches sur Google, j’ai découvert qu’un système de ce type a récemment été proposé, et il s’appelle Bitcoin.

[…]

Le système est anonyme, et aucun État ne pourrait possiblement taxer ou empêcher les transactions. Il n’y a pas de banque centrale qui puisse déprécier la devise avec la création illimitée de nouvelle monnaie. L’adoption généralisée d’un tel système ressemblerait à quelque chose qui pourrait avoir un effet dévastateur sur la capacité de l’État à se nourrir à partir de son bétail. Qu’en pensez-vous ? Je suis très enthousiaste à l’idée d’un système pratique qui pourrait vraiment nous rapprocher de la liberté au cours de notre vie. »

Après avoir publié ce texte, Martti Malmi envoie un courriel à Satoshi Nakamoto dans lequel il déclare être « Trickstern du forum anti-state.com » (son autre pseudonyme) et qu’il « aimerait aider avec Bitcoin ». On ignore à quelle date il a expédié ce message, mais probablement peu de temps après la publication du texte. Satoshi lui répond le 2 mai 2009 (#1). Il va droit au but en écrivant directement : « Merci d’avoir lancé ce sujet sur ASC, ta compréhension de bitcoin est en plein dans le mille. »

Le créateur de Bitcoin poursuit en commentant, à propos des réponses sur le forum provenant probablement de gold bugs : « Certaines de leurs réponses étaient plutôt réactionnaires, mais je suppose qu’ils sont tellement habitués à s’opposer à la monnaie fiat qu’ils estiment que tout ce qui n’est pas l’or n’est pas assez bon. Ils admettent qu’une chose est inflammable, mais affirment qu’elle ne brûlera jamais parce qu’il n’y aura jamais d’étincelle. » Ici, il fait référence (peut-être malgré lui) au théorème de régression de Mises, qui postule qu’un bien doit nécessairement posséder une valeur d’usage non monétaire avant de pouvoir devenir une monnaie et que les amateurs d’or aiment invoquer pour défendre leur point de vue. Dans son analogie, l’utilisation non monétaire est cette « étincelle » et la combustion correspond au phénomène monétaire qui, une fois lancé, peut continuer de lui-même à condition de disposer de suffisamment de combustible.

Présenter Bitcoin

Satoshi se présente comme meilleur programmeur qu’écrivain, une évaluation pour le moins contestable quand on compare la qualité de ses interventions avec celle de son code, qui est médiocre. Dans le premier courriel (#1), il déclare : « Mon style d’écriture n’est pas très bon, je suis un bien meilleur codeur. » Cet élément fait écho à une réponse faite à Hal Finney quelques mois plus tôt où il disait qu’il était « meilleur pour la programmation que pour l’écriture ». Il dira aussi en 2010 qu’« écrire une description de ce truc pour le grand public est sacrément difficile ».

Ainsi, même si Martti prend part au développement durant l’année 2009 (il sera crédité dans les remerciements de la version 0.2), Satoshi le met plutôt à contribution pour remplir la page web sur SourceForge (bitcoin.sourceforge.net), la plateforme où est hébergé le code du logiciel, notamment en écrivant une foire aux questions (FAQ). Pour ce faire, Satoshi lui fournit (#3) une compilation des explications qu’il a pu fournir çà et là, en privé et en public. On y retrouve des réponses données à Hal Finney, Ray Dillinger, Dustin Trammell, Jonathan Thornburg, John Gilmore, Martien van Steenbergen, Michel Bauwens et Mike Hearn. (Notons que certaines d’entre elles n’avaient pas encore été publiées à ce jour.)

Aidé par ces courriels riches en informations, Martti rédige alors la FAQ (#4), qui est approuvée par Satoshi (#5). Elle contient des éléments de langage constitutifs de ce qui fera Bitcoin par la suite. Bitcoin y est présenté comme une « monnaie numérique anonyme basée sur un réseau pair à pair » qui « utilise la cryptographie à clés publique et privée », qui « est valorisée pour les choses contre lesquelles elle peut être échangée, tout comme le sont toutes les monnaies papier traditionnelles » et dont les nouvelles unités « sont générées par un nœud du réseau chaque fois qu’il trouve la solution à un certain problème calculatoire ». Martti évoque également quelques-uns des avantages apportés par Bitcoin : le transfert de fonds sur Internet, l’absence de contrôle des transactions par un tiers de confiance, la protection vis-à-vis des politiques monétaires inflationnistes des banques centrales et le potentiel de hausse de la valeur découlant de l’accroissement de la taille de l’économie.

La page est mise en place le 6 mai (#9). Martti y installe également un forum et un wiki le 9 juin (#17). La page, le wiki et le forum seront annoncés par Martti Malmi lui-même sur la liste de diffusion de Bitcoin le 13 juin.

Le 11 juin, Satoshi contacte à nouveau Martti Malmi et lui propose le mot « cryptomonnaie » (cryptocurrency en anglais) pour décrire Bitcoin (#19). Il écrit : « Quelqu’un a proposé le mot « cryptomonnaie »… c’est peut-être un mot que nous devrions utiliser pour décrire Bitcoin, ça te plaît ? » Le Finlandais approuve et avance que « The P2P Cryptocurrency » pourrait être le slogan de Bitcoin. Cette suggestion sera mise en œuvre : le titre de la page web deviendra « Bitcoin P2P Cryptocurrency » et l’annonce de la version 0.3 en juillet 2010 décrira le projet comme « Bitcoin, the P2P cryptocurrency » (#198).

Toutefois, tout ne convient pas à Satoshi. Par exemple, dans le même courriel du 11 juin, il dit à Martti qu’il n’est « pas à l’aise » avec le fait de déclarer que Bitcoin est un « investissement » (#19). Plus tard, en juillet 2010, il reviendra également sur la mise en avant de l’anonymat, pour deux raisons : le danger pour l’utilisateur et la perception du grand public. Quelques heures après sa déclaration sur le forum ne pas vouloir « mettre l’aspect « anonyme » au premier plan », il écrira ainsi à Martti (#197) :

« Je pense que nous devrions mettre moins l’accent sur l’aspect anonyme. Avec la popularité des adresses bitcoin au lieu de l’envoi par IP, nous ne pouvons pas donner l’impression que tout est automatiquement anonyme. Il est possible d’être pseudonyme, mais il faut être prudent. […] De plus, « anonyme » sonne un peu suspect. Je pense que les gens qui veulent de l’anonymat le découvriront sans que nous en fassions la promotion. »

L’obsession de l’amorçage

Les courriels publiés par Martti Malmi révèlent aussi l’obsession de Satoshi Nakamoto à propos de l’amorçage de Bitcoin. Le 21 juillet 2009, il écrit à celui qui est devenu son bras droit (#24) : « Cela aiderait si les gens pouvaient l’utiliser pour quelque chose. Nous avons besoin d’une application pour l’amorcer. Des idées ? » Un mois plus tard, le 24 août, il lui partage ses idées et il écrit (#28) : « Ce serait plus efficace s’il existait également une niche de produits pour laquelle il pourrait être utilisé. Certaines monnaies virtuelles, comme le Q coin de Tencent, ont percé dans le domaine des biens virtuels. » Le 28, Martti répond (#30) : « Bitcoin pourrait être promu auprès des utilisateurs de communautés virtuelles comme World of Warcraft et Second Life, qui comptent toutes deux des millions d’utilisateurs. » Tout ceci rappelle la réponse de Satoshi à Dustin Trammell du 15 janvier 2009 où il expliquait que Bitcoin pourrait servir de « points de récompense », de « jetons de don », de « monnaie pour un jeu », aux « micropaiements pour des sites pour adultes » ou encore au paiement pour un site web ou pour envoyer un courriel.

Il y a néanmoins un problème qui hante cet amorçage : celui de la première valorisation. Bitcoin est en effet le projet d’une nouvelle monnaie qui a besoin d’une « étincelle ». Pour cela, la méthode historique la plus simple est l’adossement à une autre monnaie déjà adoptée : c’est de cette manière que les États ont pu faire accepter le papier-monnaie à leurs populations. C’est pourquoi Satoshi l’envisage et déclare à plusieurs reprises dans ses échanges avec Martti que Bitcoin sera « garanti par du liquide » (#1) ou « par de la monnaie fiat » (#3). Si cela peut paraître énigmatique de prime abord, il précise sa pensée quelques mois plus tard (#28) : « Offrir de la monnaie pour garantir les bitcoins attirerait les chasseurs de gratuité, ce qui aurait l’avantage de générer beaucoup de publicité. »

Pour mettre en place ces idées, Satoshi est en contact avec plusieurs donateurs éventuels. Dans le courriel du 21 juillet (#24), il écrit ainsi à Martti : « Il y a des donateurs que je peux solliciter si nous trouvons quelque chose qui nécessite un financement, mais ils souhaitent rester anonymes. » L’un d’entre eux sera sollicité plus tard pour payer les diverses dépenses de Martti : le Finlandais recevra 3 600 $ par la poste tout juste un an plus tard ! (#210)

Les idées de Satoshi pour l’amorçage inspirent Malmi, qui tente de mettre en application la garantie du bitcoin par le biais d’une plateforme de change. Le 22 juillet 2009, il décrit son concept à Satoshi (#25) :

« J’ai pensé à un service de change qui vendrait et achèterait des bitcoins contre des euros et d’autres devises. La possibilité d’échanger directement des bitcoins contre une monnaie existante donnerait au bitcoin la meilleure liquidité initiale possible et donc une meilleure facilité d’adoption pour les nouveaux utilisateurs. Tout le monde accepte d’être payé avec des pièces facilement échangeables contre de la monnaie commune, mais tout le monde n’accepte pas d’être payé avec des pièces qui ne sont garanties que pour l’achat d’un type spécifique de produit.

À titre pédagogique, la formule permettant de fixer un prix stable en euros serait quelque chose comme : (Le montant d’euros qu’on est prêt à échanger contre des bc + la valeur en euros des biens que d’autres personnes vendent contre des bc) / (Le nombre total de bc en circulation – les actifs propres en bc). »

La plateforme de Martti consiste à jauger l’offre et la demande d’une manière différente que la bourse traditionnelle, en prenant en compte les euros et les bitcoins déposés par les usagers. Il finit par mettre en œuvre son idée en mars 2010 au travers du site Bitcoinexchange.com (#133) et réalise quelques ventes au fil des mois (#191, #214), mais le système n’est pas avantageux pour les utilisateurs. La plateforme fermera en 2011.

La garantie de la valeur du bitcoin provient en réalité de l’action d’un autre utilisateur, bien connu par ceux qui s’intéressent à l’histoire de Bitcoin : NewLibertyStandard (NLS). Celui-ci s’inscrit sur le forum hébergé sur SourceForge durant l’automne 2009. Le 8 octobre, il annonce qu’il échange des bitcoins contre des dollars sur son site web, newlibertystandard.wetpaint.com, à un taux de change basé sur son propre coût de production. Martti en informe Satoshi (#34), qui lui répond une semaine plus tard (#35) :

« Il est encourageant de voir que davantage de personnes s’intéressent au projet, comme ce site NewLibertyStandard. J’aime son approche de l’estimation de la valeur basée sur l’électricité. Il est instructif de voir quelles explications les gens adoptent. Elles peuvent aider à découvrir une manière simplifiée de comprendre [Bitcoin] qui puisse le rendre plus accessible aux masses. De nombreux concepts complexes dans le monde ont une explication simpliste qui satisfait 80 % des gens, et une explication complète qui satisfait les 20 % restants, ceux qui voient les défauts de l’explication simpliste. »

De son côté, Martti contacte NLS (#34) et effectue un échange avec lui le 12 octobre : 5 050 bitcoins contre 5,02 $ sur PayPal. Cela donne au bitcoin un prix d’échange pour la première fois de son histoire : 0,001 $ environ ! Par la suite, NLS continue à contribuer au projet, par l’intermédiaire de son service de change et par ses tests réalisés pour le portage du logiciel sur Linux (#66). Quant à Satoshi, son obsession à propos de l’amorçage ne le quittera que lorsque le projet prendra réellement de l’ampleur, après le slashdotting de juillet 2010.

La méfiance de Satoshi

Ce qui ressort enfin de ces courriels est la méfiance de Satoshi Nakamoto vis-à-vis du pouvoir. Celui-ci en effet met tout en place pour éviter d’avoir affaire aux autorités, ayant l’intuition qu’il est en train de construire un système monétaire révolutionnaire et que cela ne plaira pas aux élites installées.

Le créateur de Bitcoin démontre une connaissance pointue des systèmes de paiements et de monnaies centralisées alternatives comme les devises en or numériques telles que Pecunix et e-Bullion, le système Liberty Reserve, ou encore le service russe WebMoney. Lorsque Martti lui parle de l’avancement du prototype de sa plateforme d’échange en février 2010, il lui conseille ainsi d’accepter les virements entrants de Liberty Reserve, qui permet de faire des échanges « sans poser de question et en toute confidentialité » (#141). Il évoque aussi l’existence des cartes-cadeaux (« paysafecards ») qui peuvent rendre service pour réaliser certaines opérations financières. Le même jour, il suggère à Martti de ne pas « se précipiter » et de ne pas « se faire rejeter par toutes les solutions de paiement » (#142), ce qui indique qu’il connaît très bien la censure bancaire qui règne dans le milieu. Il a également conscience du problème de la rétrofacturation comme l’atteste un courriel adressé à Martti quelques jours plus tard (#151) :

« Toutes les méthodes de paiement conventionnelles ont recours à la réfutabilité pour pallier l’absence de mots de passe et de crypto. Le système est largement ouvert à la copie des numéros de carte de crédit et des numéros de compte en clair, et ils y remédient en inversant la transaction après coup. »

Satoshi sait donc très bien où il met les pieds et est conscient que ce qu’il fait remet en cause l’autorité financière sur le transfert monétaire sur Internet. Il a probablement entendu parler de la fermeture du système de devise en or numérique e-gold a fermé en 2007 et de l’arrestation de ses fondateurs, qui ont été condamnés pour facilitation de blanchiment d’argent et activité de transfert d’argent sans licence. Il a connaissance de la censure financière grandissante perpétrée par les banques pour se conformer aux réglementations étatiques.

Il donne quelques indices dans sa façon de dire les choses. Par exemple, lorsqu’il s’oppose au fait de considérer explicitement Bitcoin « comme un investissement » en juin 2009, il écrit à Martti que « c’est quelque chose de dangereux à dire » et qu’il devrait « supprimer ce point » (#19), craignant probablement les lois qui réglementent le conseil en investissement. Plus tard, en février 2010, lorsque Martti lui évoque la volonté de traduire le site web en finnois, Satoshi répond la chose suivante (#158) :

« Il serait peut-être préférable de ne pas le traduire dans ta propre langue. Souvent, la réponse habituelle en matière de légalité est que le contenu n’est destiné qu’aux ressortissants d’autres pays. Le fait de le traduire dans ta langue maternelle affaiblit cet argument. »

Ainsi, la préoccupation de Satoshi vis-à-vis du pouvoir politique atteint un niveau quasi paranoïaque, ce qui montre qu’il a conscience du caractère profondément transgressif de sa découverte. C’est probablement pourquoi il déclarera dans l’un de ses derniers messages publics en décembre 2010 que « WikiLeaks a donné un coup de pied dans la fourmilière » et que « la colonie se dirige maintenant vers nous », avant de disparaître à jamais.

Le succès de Bitcoin et la disparition

À partir de la fin de l’année 2009, les choses commencent à s’arranger pour Bitcoin. Le mois de novembre est consacré à la migration de la page SourceForge vers Bitcoin.org (#102) : la description de Martti Malmi se retrouve donc sur le site officiel (#124). C’est aussi l’occasion de lancer un nouveau forum, celui hébergé sur SourceForge n’étant pas assez évolué. Satoshi écrit ainsi (#59) : « Maintenant que le forum sur bitcoin.sourceforge.net gagne en popularité, nous devrions vraiment chercher un endroit qui héberge gratuitement la gestion d’un forum complet. » Après des hésitations au sujet du moteur logiciel à utiliser, c’est Simple Machines Forum qui est choisi par Satoshi (#99). Le nouveau forum est mis en ligne le 26 novembre à l’adresse bitcoin.org/smf (#110).

Quelques mois plus tard, ce forum commence à attirer beaucoup de monde et devient le centre névralgique de la communication autour de Bitcoin. Le 7 février 2010, Satoshi s’étonne ainsi de son succès (#153) : « Le forum est en train de décoller. Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait autant d’activité aussi rapidement. » En mai, Martti devra ajouter plusieurs sections pour organiser les nombreuses discussions (#191).

Certaines personnes contactent également Satoshi en privé. C’est notamment le cas de Jon Matonis, un économiste qui tient le blog The Monetary Future où il traite de sujets liés aux monnaies numériques, à la banque libre et à la cryptographie, et qui « souhaite écrire un article sur Bitcoin » (#189). Le 4 mars, Satoshi lui répond en le complimentant sur son blog en disant qu’il « aurait aimé qu’il y ait quelque chose comme ça » quand il avait fait ses premières recherches trois ans auparavant. Le 6, il envoie un courriel à Martti en lui demandant de l’aide, car il n’a « pas le temps de répondre à ses questions », chose que le Finlandais accepte le lendemain (#190). Néanmoins, il semble que Satoshi ne le met finalement pas en relation avec Jon Matonis, ce dernier publiant un très succinct article sur Bitcoin le 13 mars (UTC).

Le 11 juillet 2010, il se produit un évènement qui bouleverse l’histoire de Bitcoin : suite à la sortie de la version 0.3 du logiciel, une courte présentation de Bitcoin rédigée par un utilisateur est publiée sur Slashdot, un site d’actualité très populaire auprès des passionnés d’informatiques et d’autres sujets. Cet évènement provoque un afflux massif de visiteurs sur le site et sur le forum de Bitcoin, une augmentation du nombre d’utilisateurs et de mineurs sur le réseau. En particulier, le prix du BTC connaît la première hausse majeure de son histoire, en passant de 0,008 $ à 0,08 $ en une semaine.

Mais cela veut dire aussi que le travail de Satoshi et des développeurs s’accroît considérablement. Le 18 juillet (#210), le créateur de Bitcoin écrit ainsi à Martti, en réponse à sa suggestion de changer de service d’hébergement pour le site et le forum :

« S’il te plaît, promets-moi de ne pas faire de basculement maintenant. La dernière chose dont nous avons besoin, c’est de problèmes de basculement qui s’ajoutent à l’afflux de travail que nous recevons actuellement de slashdot. Je perds la tête tellement il y a de choses à faire. »

Ce sentiment de surcharge se confirme dès l’été avec plusieurs problèmes techniques qui sont découverts, comme le 1 RETURN bug ou le dépassement de mémoire qui provoque le Value Overflow Incident.

Tout ceci montre cependant que le projet a pris. La communauté est désormais suffisamment grande et enthousiaste pour que Bitcoin ne faiblisse pas. Satoshi sent qu’il peut prendre du recul et donner plus de responsabilités à ses premiers auxiliaires, Martti Malmi et Gavin Andresen. Le rôle de Gavin est notamment prépondérant. Le 3 décembre, lorsque Martti lui demande à qui il pourrait donner un rôle d’administrateur serveur supplémentaire pour le site, Satoshi répond (#241) :

« Ce devrait être Gavin. J’ai confiance en lui, il est responsable, professionnel, et techniquement bien plus compétent que moi avec linux. »

C’est probablement en décembre 2010 que le créateur décide de disparaître, alors que des utilisateurs du forum suggèrent que WikiLeaks devrait accepter le bitcoin, l’ONG de Julian Assange étant soumise à un blocus financier des acteurs traditionnels et ne pouvant donc pas recevoir de dons. Le 5 décembre, Satoshi s’y oppose publiquement en déclarant que « le projet a besoin de grandir progressivement pour que le logiciel puisse se renforcer en cours de route » et que « Bitcoin est une petite communauté expérimentale encore naissante ». Le 7 décembre, il envoie un courriel à Martti lui demandant s’il peut l’« ajouter à la liste de développeurs du projet sur la page de contact ». Son intention est de retirer ses propres informations de contact. Cela corrobore les propos que Gavin Andresen tiendra quelques années plus tard, Satoshi ayant procédé exactement de la même façon avec lui : « [Satoshi] a fini par me rouler dans la farine en me demandant s’il pouvait mettre mon adresse de courrier électronique sur la page d’accueil de bitcoin, et j’ai dit oui, sans me rendre compte que, lorsqu’il mettrait mon adresse, il enlèverait la sienne. »

Le 12 décembre, Satoshi poste son dernier message public sur le forum, mais continue d’interagir en privé avec les personnes en lesquelles il a confiance. Il cherche à se faire le plus discret possible et ne souhaite pas s’exposer en se chargeant de la communication du projet. Ainsi, le 6 janvier 2011, lorsque Gavin lui dit qu’il ferait mieux de parler à la presse à l’occasion d’un contact avec Rainey Reitman de l’Electronic Frontier Foundation, il répond que ce dernier est « la meilleure personne pour le faire » (#254). Ce n’est pas par manque d’intérêt, car il poursuit en ajoutant :

« L’EFF est très importante. Nous voulons entretenir de bonnes relations avec elle. Nous sommes le type de projet qu’ils apprécient ; ils ont aidé le projet TOR et ont fait beaucoup pour protéger le partage de fichiers en P2P. »

Il disparaît définitivement en mai 2011, deux ans après la première prise de contact avec Martti Malmi. À celui-ci il écrit : « Je suis passé à autre chose et je ne serai probablement plus là à l’avenir. » Il a peut-être choisi de se consacrer à son activité professionnelle, mentionnée dans l’un des courriel pour expliquer son absence d’août 2009 (#24). On ne le saura probablement jamais.

Suite à la disparition du créateur de Bitcoin, le site et le forum seront confiés à Cobra (un autre Finlandais) et Theymos. Le forum sera ensuite déplacé à l’adresse forum.bitcoin.org en mai 2011 puis vers bitcointalk.org en août. Martti Malmi, lui, vendra ses bitcoins durement minés pour s’acheter un appartement à Helsinki. Et Bitcoin continuera de fonctionner, bloc après bloc.

Des nouveaux éléments dans l’énigme Nakamoto

La publication de la correspondance entre Martti Malmi et Satoshi Nakamoto constitue ainsi un évènement important, qui a marqué la communauté de Bitcoin. Ces courriels nous racontent la relation qui unissait le créateur de Bitcoin et le jeune Finlandais lorsqu’ils ont développé ce qui est aujourd’hui une cryptomonnaie utilisée par des millions de personnes, notamment en forgeant un discours qui a depuis été repris par beaucoup. Nous remercions ainsi Martti Malmi de les avoir mis en ligne, malgré sa réticence compréhensible à rendre public des échanges privés sans l’accord de l’autre personne.

Ces courriels sont fondamentaux dans la compréhension que l’on a de Satoshi. Même s’ils ne nous apprennent rien de réellement crucial, ils ont le mérite d’éclaircir certains points sur la façon dont se sont déroulées les choses, tant du point de vue de la communication que de la technique. Certains traits de personnalité du créateur de Bitcoin nous sont aussi confirmés comme son obsession de l’amorçage ou sa méfiance des autorités.

En outre, ses relations avec d’autres personnages clés de l’histoire de Bitcoin transparaissent un peu plus clairement. Le 21 juillet 2009, Satoshi a ainsi mentionné Hal Finney disant qu’il avait « ouvert la voie » des années auparavant avec « sa Reusable Proof of Work (RPOW) » (#24), ce qui nous confirme qu’il avait bien connaissance de ce système datant de 2004. Martti et Satoshi parlent aussi d’un certain David (#23), qui n’est nul autre que David Parrish ou dmp1ce et qui semble avoir un peu contribué au développement en 2009. On distingue aussi l’importance de NewLibertyStandard qui a tout simplement lancé Bitcoin économiquement en étant le premier commerçant et en garantissant une sorte de plancher de valeur. Enfin, Gavin Andresen apparaît clairement dans ces e-mails comme celui qui pris la place de Martti Malmi en tant que bras droit de Satoshi au cours de l’année 2010, le Finlandais ayant été assez occupé à partir de ce moment.

En complément de cet article, vous pouvez retrouver l’épisode d’Enigma Nakamoto consacré à ce sujet : Épisode 11 : les mails de Martti Malmi.

Vous pouvez également en apprendre plus sur Bitcoin dans mon livre, L’Élégance de Bitcoin, qui regorge de détails croustillants et dont les deux premiers chapitres sont dédiés à raconter son histoire. Disponible sur le site de l’éditeur en format broché et ebook, ainsi que sur Amazon.

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