5 choses méconnues à propos des cryptomonnaies
La communauté des cryptomonnaies est diverse et florissante, et ses membres semblent apprendre chaque jour de nouvelles choses. On pourrait s’attendre à ce que tout un chacun soit devenu un expert mais c’est loin d’être le cas et certains aprioris ont la vie dure. Aujourd’hui je vous propose de découvrir cinq erreurs que les gens font encore régulièrement à propos des cryptomonnaies, y compris au sein de la communauté.
L’éthereum ça n’existe pas
Bitcoin est un protocole de paiement qui gère une unité de compte native. Pour une raison qui reste inconnue, Satoshi a donné à cette unité de compte le même nom que le protocole : le bitcoin. En français, une convention pour différencier les deux consiste à écrire l’unité de compte en minuscules et de la traiter comme un nom commun (« le bitcoin »), et à utiliser la nom du protocole comme un nom propre (« Bitcoin »). Ainsi, le bitcoin est équivalent à l’euro ou au dollar dans la langue de Molière : il est traité à la fois comme l’unité de compte en tant que telle (« il me doit cinq bitcoins ») et comme le moyen de paiement (« j’accepte le bitcoin »). À l’inverse, le terme « Bitcoin » est utilisé comme on utilise les protocoles de paiement tels que Visa, Mastercard, Paypal, Western Union (« recevoir un paiement via Bitcoin ») ; et on pourra donc parler de réseau Bitcoin, de compte Bitcoin, de la chaîne de blocs de Bitcoin, etc.
En voyant ce fonctionnement, les gens s’imaginent que la désignation de l’unité de compte est toujours identique à celle du protocole qui la sous-tend. C’est ainsi que l’on voit régulièrement des articles ou des vidéos parlant de « l’éthereum » comme le jeton natif faisant fonctionner Ethereum. Cependant, ni le livre blanc, ni Vitalik Buterin, ni aucun membre fondateur de ce protocole n’a jamais parlé de « l’éthereum » : le nom de l’unité de compte est l’éther (ether en anglais), en référence à l’hypothétique substance qui était censée remplir l’espace intersidéral avant qu’on ne prouve le contraire. Ethereum désigne quant à lui le protocole crypto-économique et l’ordinateur décentralisé mondial qu’il met en place.
Malheureusement, ce mésusage est assez répandu dans la communauté au point que des sites populaires comme Coinmarketcap.com et des plateformes d’échange reconnues comme Coinbase et Binance font la même « erreur » (contrairement à Kraken qui est exemplaire). Même les vidéastes spécialisés dans les cryptomonnaies comme Hasheur contribuent à la diffuser. De plus, cette dérive ne s’arrête pas à « l’éthereum » : c’est ainsi qu’on évoque parfois « le tezos » au lieu de dire « le tez » pour désigner l’unité de compte de Tezos, « le stellar » en lieu et place du lumen, « le tron » pour le tronix (d’où dérive le sigle TRX), etc.
Bien qu’il puisse arriver qu’une faute devienne un usage commun en linguistique, les deux usages subsistent et seul l’un des deux (« l’éther ») est à la fois conforme à la volonté initiale des créateurs et permet de différencier clairement l’unité de compte du protocole crypto-économique. C’est pour cela que j’utilise personnellement ce terme et recommande de le faire à quiconque voudrait créer du contenu à propos d’Ethereum.
La taille limite des blocs de Bitcoin n’est plus de 1 Mo
Comme chacun le sait, dans Bitcoin, les transactions sont regroupées dans des blocs, qui sont ajoutés à une chaîne toutes les 10 minutes en moyenne. Cependant, ces blocs ne peuvent pas contenir un nombre indéfini de transactions et leur taille est limitée artificiellement par le protocole afin de garantir un certain niveau de décentralisation. Pendant 7 ans, la limite sur la taille des blocs était de 1 mégaoctet (1 Mo) de données : cette limite avait été inscrite explicitement dans le code par Satoshi Nakamoto en juillet 2010 et a perduré jusqu’en août 2017.
C’est pour cette raison que les gens, et notamment les défenseurs de l’augmentation de la taille limite des blocs comme les partisans de Bitcoin Cash ou de Bitcoin SV, se réfèrent souvent à cette limite quand ils parlent de Bitcoin-BTC. Toutefois, les blocs de Bitcoin ne sont plus limités à 1 Mo et dépassent régulièrement les 1,2 Mo. En effet, depuis l’activation de la mise à niveau SegWit le 24 août 2017, la limitation a changé : le critère ne concerne plus la taille du bloc, mais son poids, métrique définie pour l’occasion. La nouvelle limite est ainsi de 4 millions d’unités de poids (weight units ou WU).
Sans rentrer dans les détails de cette mise à niveau complexe qu’est SegWit (voyez plutôt mon article sur le sujet), le poids est défini comme une moyenne pondérée de la taille de la transaction traditionnelle et de la taille des signatures sont déplacées dans le témoin, la base de données séparée d’où provient le nom Segregated Witness. La limite de 4 MWU autorise théoriquement une taille réelle des blocs approchant des 4 Mo, mais en pratique celle-ci n’avoisine que les 2 Mo dans le meilleur des cas. Ainsi, contrairement à ce que certaines personnes peuvent croire encore aujourd’hui, l’augmentation de la capacité transactionnelle apportée par la mise à niveau SegWit ne provient pas d’une optimisation des transactions, mais d’une augmentation de la taille limite des blocs.
Au vu de la complexité de la nouvelle limite, il peut être plus simple de parler de la limite de 1 Mo (qui est encore valide aux yeux des nœuds utilisant une version antérieure du logiciel) : c’est pour cela que beaucoup de vulgarisateurs continuent de l’évoquer. Néanmoins, c’est factuellement faux et cela peut embrouiller le néophyte plus qu’il ne le faut quand il voit des blocs de 1,2 Mo être minés.
Roger Ver n’a pas créé Bitcoin Cash et n’en est pas son représentant officiel
Roger Ver est un personnage controversé de la communauté de Bitcoin et des cryptomonnaies. Il est à la tête de l’entreprise Bitcoin.com, liée au domaine du même nom, qui fournit un certain nombre de services et occupe une grande place dans le développement économique de Bitcoin Cash (BCH), une branche dissidente de Bitcoin (BTC) dont la méthode de scalabilité principale est l’augmentation progressive de la taille des blocs. Roger Ver est donc connu depuis 2017 pour être un fervent défenseur de Bitcoin Cash, à tel point que certains imaginent, à tort, qu’il en a été le principal instigateur et qu’il en est aujourd’hui le représentant officiel.
Roger Ver a découvert Bitcoin en 2011 et en faisait la promotion. Son évangélisation acharnée a convaincu un très grand nombre de personnes de s’intéresser à Bitcoin, notamment en leur donnant des bitcoins pour essayer, ce qui lui a valu le surnom de « Bitcoin Jesus » dans la communauté. Il est également connu pour avoir été le premier gros investisseur à mettre son argent dans le bitcoin et dans les entreprises de l’écosystème.
Roger Ver était un partisan des « gros blocs », et soutenait par conséquent une augmentation de la taille des blocs lors du débat sur la scabilité (notamment par le biais des implémentations Bitcoin XT, Bitcoin Classic et Bitcoin Unlimited). Cependant, lors de l’embranchement de Bitcoin Cash en août 2017, il a préféré maintenir son soutien vers Bitcoin, convaincu que le projet SegWit2X, qui consistait à activer SegWit et à doubler la taille limite des blocs par la suite, serait appliqué. Ce n’est que lorsque le « 2X » a été annulé en novembre 2017, suite au changement d’avis de la majorité des utilisateurs, que Roger Ver s’est tourné vers Bitcoin Cash, voyant que le réseau Bitcoin était condamné à être régulièrement congestionné à cause d’une limite trop basse. Roger Ver n’a donc pas créé Bitcoin Cash, et n’en a pas été un fervent supporter dès le premier jour (même s’il avait de la sympathie pour le projet).
Bitcoin Cash a été créé le 1er août 2017 à la suite du travail de développement du français Amaury Séchet et de quelques autres (freetrader par exemple), et a été soutenu par la coopérative de minage chinoise ViaBTC et par Bitmain. En fait, quitte à choisir un représentant unique, il faudrait opter pour Amaury Séchet, l’actuel développeur en chef de l’implémentation Bitcoin ABC, qui expliquait la vision derrière Bitcoin Cash dès juin 2017 dans une présentation donnée à Arnhem : modifier le protocole pour passer à l’échelle sur la chaîne, améliorer l’expérience de l’utilisateur et ajouter de nouvelles fonctionnalités.
Roger Ver a aujourd’hui une grande influence au sein de la communauté de Bitcoin Cash. Cependant, sa vision s’éloigne parfois un peu de la vision partagée par la communauté de Bitcoin Cash, et surtout son comportement est loin d’être exemplaire. En témoigne son dernier tweet très douteux qui suggérait sans preuve que Jack Dorsey, patron de Twitter, aurait eu une liaison avec Elisabeth Stark, co-fondatrice de Lightning Labs, et que cela expliquait son soutien pour le réseau Lightning. Un autre élément ambigu est qu’encore aujourd’hui, Bitcoin-BTC est encore appelé « Bitcoin Core » sur Bitcoin.com ce qui est plutôt trompeur quand on sait que BTC est quasi-unanimement appelé Bitcoin et constitue la branche dominante depuis plusieurs années maintenant. Bien que le comportement dans le camp d’en face n’ait pas forcément été plus honnête et que Bitcoin Cash suive le plan initial de Bitcoin, cela ne justifie pas selon moi certaines des méthodes utilisées par Roger Ver.
Il y a beaucoup d’individus plus à même de représenter la vision derrière Bitcoin Cash. Parmi les développeurs et techniciens, on peut se référer en particulier à Chris Pacia (bchd), Josh Ellithorpe (bchd, CashShuffle), Mark Lundeberg (Electron Cash), Gabriel Cardona (Bitcoin.com), Peter Rizun (Bitcoin Unlimited), Andreas Brekken (Shitcoin.com, Sideshift.ai), ou encore Vin Armani (Cointext). Parmi les mineurs, on trouve bien sûr Jihan Wu de Bitmain, mais aussi Haipo Yang, PDG de ViaBTC, et Jiang Zhuoer, PDG de le coopérative de minage BTC.TOP. Enfin, parmi les soutiens de Bitcoin Cash, on peut également citer Rick Falkvinge, fondateur du Parti Pirate suédois, Jeffrey Tucker directeur de publication de l’American Institute for Economic Research, ou encore Gavin Andresen, développeur emblématique de Bitcoin qui s’est désormais éloigné de l’écosystème.
Ainsi, il est très fallacieux d’associer Bitcoin Cash à la figure de Roger Ver. Bitcoin Cash est une scission de Bitcoin, qui a sa vision propre et qui ne dépend pas vraiment d’une seule personne : si Roger Ver disparaissait, Bitcoin Cash continuerait d’exister. De même qu’on n’associerait pas la communauté de Bitcoin-BTC au comportement toxique de certains maximalistes, le comportement de Roger Ver n’est pas représentatif de la communauté de Bitcoin Cash.
La rareté n’est pas une source de valeur
Dans Bitcoin, la création des nouveaux bitcoins est programmée à l’avance depuis le premier jour, ce qui fait qu’elle diminue au cours des années pour ne jamais dépasser les 21 millions. Cette émission est réduite de moitié tous les quatre ans, ce qui est connu sous le nom de halving : ainsi, il se créait 50 bitcoins par bloc entre 2009 et 2012, 25 par bloc entre 2012 et 2016, et 12,5 par bloc depuis 2016. Cela constitue un changement drastique qui diminue la récompense attribuée aux mineurs, mais cause aussi l’augmentation de la valeur de la pièce.
Avec le prochain halving de 2020 qui s’approche, beaucoup se réjouissent à l’avance d’une valeur du bitcoin qui repartirait à la hausse de façon spectaculaire, comme cela avait eu lieu lors des deux précédentes réductions. On voit en effet beaucoup de bitcoineurs se transformer en experts du « stock-to-flow ratio » et estimer que le prix du bitcoin pourrait atteindre des nouveaux sommets autour des 100 000 $ lors du prochain marché haussier.
Ici je voudrais juste rappeler que la valeur du bitcoin ne repose pas sur la rareté, mais sur l’usage qu’en font les gens. Pour qu’une chose ait une valeur, il faut des personnes prêtes à l’acheter (demande) ; et pour qu’elles soient prêtes à l’acheter, il faut qu’elles en trouvent un bénéfice. Ainsi, la réduction de l’augmentation de l’offre ne constitue pas un argument en soi pour justifier une hausse du prix : même si le taux d’émission est réduit à zéro, le prix n’augmentera pas si le service apporté par Bitcoin reste le même. La valeur du bitcoin repose surtout dans l’utilité qu’il apporte aux gens et notamment le fait de pouvoir transférer de la valeur sans recourir à un intermédiaire.
On parle beaucoup du rôle du bitcoin en tant que « réserve de valeur » ou « or numérique », mais selon moi ce n’est qu’un usage de spéculation : on spécule sur la valeur future pensant que celle-ci sera supérieure ou égale à la valeur actuelle dans un horizon de temps donné. Mais la spéculation n’est pas un usage solide, ce qui peut se voir au vu des fluctuations du prix du bitcoin ces dernières années. Pour que le prix augmente de manière durable et se stabilise, il faudra que les usages non spéculatifs se développent : transferts entre les pays (remittances), financements participatifs, paiements, contrats autonomes, etc. Ainsi, la réduction du taux d’émission monétaire ne suffit pas.
La preuve de travail et la preuve d’enjeu ne sont pas des algorithmes de consensus
Une lieu commun qui existe au sein de la communauté autour des crypto-actifs est que ce qu’on appelle la preuve de travail et la preuve d’enjeu sont des algorithmes de consensus. J’ai moi-même déjà fait cette considération. Si on peut s’y retrouver à peu près quand on parle de preuve de travail, la preuve d’enjeu (déléguée ou non) est quant à elle source de confusion, car les algortihmes sont nombreux et divers au sein de l’écosystème : Emmy pour Tezos, Ourobouros pour Cardano, Tendermint pour Cosmos, prochainement Casper pour Ethereum, etc.
En réalité, la preuve de travail et la preuve d’enjeu sont des mécanismes de résistance aux attaques Sybil, et ne disent rien du modèle de consensus utilisé. L’algorithme de consensus utilisé dans Bitcoin est l’algorithme de consensus de Nakamoto par preuve de travail, dont le principe très simple est que la chaîne de blocs ayant accumulé le plus de preuve de travail doit être considérée comme valide. La preuve de travail n’est là que pour permettre de choisir les validateurs (mineurs) : seul celui qui a fourni une preuve peut rajouter un bloc à la chaîne. Dans le cas contraire, si chaque nœud pouvait rajouter des blocs à la chaîne à tour de rôle, il serait facile pour un attaquant de mettre en place un grand nombre de nœuds pour contrôler le système, ce qu’on appelle une attaque Sybil.
La preuve d’enjeu, elle, consiste à considérer la possession de jetons comme le critère de sélection des validateurs. L’algorithme de consensus de Nakamoto peut ainsi se baser sur de la preuve d’enjeu, plutôt que de la preuve de travail : les validateurs (forgeurs) sont choisis au hasard selon leur quantité de jetons mis sous séquestre pour valider un bloc, et la chaîne la plus longue est sélectionnée. C’est cet algorithme qu’utilise le protocole NXT depuis 2013.
Cependant, on peut imaginer que d’autres algorithme que celui de Satoshi Nakamoto se basent sur de la preuve d’enjeu, ou même sur de la preuve de travail. C’est notamment la cas d’Avalanche, un algorithme qui utilise un procédé de chuchotement pour parvenir à un consensus au sein d’un ensemble de nœuds donnés, et qui peut se fonder indifféremment sur de la preuve de travail ou de la preuve d’enjeu pour sélectionner les participants. Pour avoir plus d’informations au sujet d’Avalanche, vous pouvez lire mon article sur le sujet.