David Bitcoin contre Goliath État
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La guerre réglementaire contre Bitcoin

Absence d’autorité centrale, pas de tiers de confiance, résistance à la censure, aucune permission requise : voici des mots qui surgissent souvent lorsqu’on parle de Bitcoin. Il s’agit en effet d’un concept de monnaie numérique indépendante des banques et des États, et c’est cette indépendance qui explique sa résilience et son succès.

Dans le livre blanc fondateur, Bitcoin est décrit comme un « système d’argent liquide électronique pair-à-pair » permettant aux paiements en ligne d’être « envoyés directement d’une partie à l’autre sans passer par une institution financière ». En janvier 2010, le site web contrôlé par Satoshi Nakamoto présentait Bitcoin comme une « devise numérique anonyme basée sur un réseau pair-à-pair ». L’un des buts de Bitcoin est donc d’importer les propriétés de l’argent liquide dans le cyberespace : possession souveraine, transactions de personne à personne et relatif anonymat.

Outre cela, le bitcoin est rare, à l’instar d’un métal précieux : il ne peut être créé que selon un plan d’émission prédéfini qui limite la quantité d’unités à 21 millions. Cette propriété de résistance à l’inflation (comme on l’appelle) est également essentielle, et est en symbiose totale avec la propriété de résistance à la censure. En effet, le bitcoin n’est rare que parce qu’il ne dépend pas d’une autorité centrale chargée de valider les transactions, et il n’est résistant à la censure que parce que des spéculateurs acceptent de lui donner de la valeur. Retirez l’une des deux propriétés et vous détruisez le tout.

Bitcoin est donc l’incarnation de la monnaie libre et souveraine. Cependant, si le caractère incontrôlable de Bitcoin passionne les amoureux de la liberté, c’est loin d’être le cas des partisans de l’autorité. Les personnes dont le métier consiste à renforcer le contrôle sur la population (législateurs, administrateurs et politiciens en tous genres) ressentent ainsi toujours un certain malaise, voire un dégoût profond, lorsqu’ils évoquent Bitcoin, et se demandent comment ce dernier pourrait être intégré au cadre légal existant. Et ceci explique l’apparition des multiples réglementations ayant pour but de limiter la liberté d’action et la confidentialité des utilisateurs. Gouverner l’ingouvernable : voilà l’objectif que nos dirigeants se sont fixés.

Aujourd’hui, la tendance est claire : les restrictions autour des cryptomonnaies prolifèrent, que ce soit en France, en Europe, aux États-Unis et dans le reste du monde. Malgré les avertissements des acteurs de l’écosystème, les décideurs politiques ne reculent pas, et il semble donc que nous nous dirigions vers une véritable guerre réglementaire contre Bitcoin qui pourrait durer des années, voire des décennies.

 

Pourquoi les États ne laisseront pas faire

Lorsque j’ai découvert Bitcoin en 2013, je n’ai pas été saisi par l’enthousiasme immédiatement. Bien qu’intéressé par cette monnaie numérique innovante, je peinais à comprendre comment le système fonctionnait réellement et en quoi cette chose pouvait être révolutionnaire. Après l’avoir essayé réellement en 2015, j’ai lâché l’affaire, me disant plus ou moins inconsciemment que ça ne marcherait jamais et que l’État pourrait facilement intervenir de toute manière.

Puis est arrivée l’année 2017 durant laquelle j’ai pu consacrer plus de temps à cette chose étrange qu’on appelle la cryptomonnaie : c’est alors que j’ai compris que Bitcoin était inarrêtable par conception, qu’il pouvait fonctionner hors de la légalité et qu’il existait indépendamment des décisions étatiques à son égard. Néanmoins, à cette époque, j’étais naïvement persuadé que les États renonceraient à mener un guerre contre Bitcoin et je négligeais tout le mal qu’ils pouvaient réellement lui faire. Il a fallu attendre plusieurs années pour que je me rende à l’évidence : les États ne laisseront jamais se développer une telle monnaie sans rien faire.

Lowwit midwit topwit interdiction bitcoin

Il y a une raison pour laquelle toutes les monnaies privées et toutes les monnaies numériques précédentes ont échoué : c’est que l’État, l’autorité qui s’exerce sur un territoire déterminé et sur un peuple qu’elle prétend représenter, n’aime pas la concurrence. L’État impose en effet un monopole monétaire, monopole qui lui permet de tirer son revenu. Par le contrôle des capitaux et la surveillance financière offerts par sa monnaie, il s’assure de prélever l’impôt de manière efficace. Par le seigneuriage et l’endettement, il s’assure profiter de la création monétaire. L’idée d’une monnaie qui échappe à son contrôle est donc intolérable pour un État, dont la tendance naturelle est de grossir le plus possible.

L’histoire des États-Unis est peut-être l’illustration la plus parfaite de cette tendance que possèdent les États à contrôler la monnaie qui s’échange sur leur territoire. Alors même que la liberté était le concept central de la fondation de la nation1, l’État fédéral étasunien n’a pas su rester un État limité et a fini par consolider le contrôle sur le dollar avec l’abandon du système des banques libres en 1863 et la fin de l’étalon-or en 1971.

Cela s’est traduit par une intolérance envers les monnaies alternatives. La détention d’or physique, longtemps utilisé comme monnaie, a été tout simplement interdite pour les particuliers entre 1933 et 1974 par l’Executive Order 6102. Le Liberty Dollar, une monnaie privée basée sur l’or et l’argent créée en 1998, a été bloquée en 2009 par la poursuite pénale de son créateur, Bernard von NotHaus, condamné en 2011 pour frappe illicite de pièces de monnaie et pour faux-monnayage. Du côté d’Internet, les systèmes de monnaie numérique e-gold (1996-2008) et Liberty Reserve (2006-2013) ont tous les deux été arrêtés par le département de la Justice étasunien.

C’est pourquoi il est peu probable que les États occidentaux laissent prospérer Bitcoin : il s’agit d’un système qui se propose de leur retirer leur contrôle sur la monnaie et il serait antinaturel pour eux de l’accueillir à bras ouverts. En réalité, ils ont déjà commencé à lutter activement contre lui, et ceci par le biais de ce qu’on appelle la réglementation.

 

La réglementation contre Bitcoin

La réglementation, parfois désignée par l’anglicisme « régulation », est l’acte d’assujettir une activité sociale à un règlement, une prescription ou une loi. Cette réglementation est généralement le fruit d’une contrainte légale appliquée par l’État. La réglementation intervient dans de nombreux domaines, mais le domaine financier est probablement le plus concerné que ce soit en France, aux États-Unis ou dans d’autres pays.

Bitcoin n’échappe pas à la règle : tant qu’il y aura des États désireux d’imposer un monopole monétaire, ceux-ci tenteront de réglementer l’usage de Bitcoin et cette réglementation sera d’autant plus drastique que Bitcoin leur retirera leur possibilité de se financer, ce qui pourra déboucher sur une interdiction pure et simple. Peu importe l’effort réalisé pour négocier des conditions plus libérales, l’État cherchera naturellement à se protéger, sans hésiter à invoquer au passage des prétextes plus ou moins valides comme le blanchiment d’argent, le trafic de stupéfiants, le financement du terrorisme, la consommation d’énergie, la spirale déflationniste ou la protection des épargnants.

Dans l’histoire de Bitcoin, on constate déjà une tendance continue à la réglementation. Au départ, Bitcoin était un projet de niche et ne faisait pas de bruit, mais à partir de 2010, il a commencé à attirer l’attention des gens. Les agences gouvernementales s’y sont probablement intéressées en 2011, soit à cause de l’intention de WikiLeaks d’accepter les donations en bitcoin2, soit en réaction au développement de la place de marché Silk Road à partir de février. Le 27 avril 2011, le développeur principal Gavin Andresen a ainsi annoncé avoir été invité par la CIA pour parler de Bitcoin, réunion qui s’est déroulée le 15 juin de la même année.

Cet intérêt des agences gouvernementales a coïncidé avec la disparition de Satoshi Nakamoto, un départ soudain qu’on peut expliquer (au moins partiellement) par son avant-dernier message public, dans lequel il disait :

Il aurait été bon d’attirer cette attention dans un tout autre contexte. WikiLeaks a donné un coup de pied dans le nid de frelons, et l’essaim se dirige vers nous.

Deux années plus tard, en 2013, le regain d’attrait de Bitcoin et l’explosion de son prix a poussé les autorités régulatrices à s’y intéresser plus en profondeur. Le 18 mars le FinCEN (Financial Crimes Enforcement Network) a ainsi publié un document clarifiant sa position sur les monnaies numériques. Au sein de ce document, il était spécifié que les plateformes d’échange étaient des entreprises de services financiers et devaient par conséquent obtenir une licence et se soumettre aux réglementations correspondantes pour exercer aux États-Unis.

Ce premier pas a permis l’introduction de nombreuses réglementations autour des plateformes d’échange. La plus connue de ces réglementations est la procédure de connaissance du client (appelée en anglais Know Your Customer ou KYC) qui impose aux plateformes supportant une monnaie traditionnelle de vérifier l’identité de leurs clients pour qu’ils puissent accéder à leurs services. En quelques années, toutes les plateformes concernées se sont adaptées, à tel point qu’il est devenu à ce jour très difficile de se procurer du bitcoin de manière anonyme. Cette obligation de connaissance du client crée une situation particulièrement alarmante dans laquelle une majorité d’utilisateurs sont désormais fichés et où leurs bitcoins sont probablement liés à leur identité grâce à l’analyse de chaîne.

PNJ KYC

Une autre réglementation entravant aujourd’hui le fonctionnement de Bitcoin est la législation autour des plus-values. En France par exemple, l’utilisateur est légalement contraint de déclarer ses plus-values réalisées lors des « cessions à titre onéreux d’actifs numériques » et de payer un impôt de 30 % sur celles-ci, si le total représente plus de 305 € sur l’année. Ceci revient plus ou moins à une interdiction légale de l’utilisation régulière du bitcoin en tant que monnaie d’échange, puisque la volatilité (à la hausse) du cours ferait que beaucoup de personnes se retrouverait à devoir déclarer leurs plus-values (et leurs moins-values) lors de chaque achat réalisé dans le commerce.

 

Quel avenir réglementaire ?

L’envolée du cours du bitcoin à la fin de l’année 2020 a poussé les autorités à s’intéresser de nouveau aux cryptomonnaies et à leur statut légal, si bien qu’elles parlent aujourd’hui de durcir la réglementation existante. Comme on l’a dit, plus Bitcoin prend d’importance et nuit au financement public, plus l’intervention étatique se justifie, et le fait que les particuliers y investissent leurs économies n’est pas bien vu par tout le monde.

Une bonne illustration de l’actuelle agitation des régulateurs est la déclaration du 13 janvier 2021 de Christine Lagarde, actuellement présidente de la Banque centrale européenne (BCE) et ancienne directrice générale du Fonds monétaire international (FMI). Dans une entrevue avec Reuters, elle a en effet appelé de ses vœux une réglementation mondiale de Bitcoin et des cryptomonnaies :

Il doit y avoir une réglementation. Elle doit être appliquée et convenue. Il s’agit d’un sujet sur lequel nous devons nous mettre d’accord au niveau mondial, car s’il y a une échappatoire, cette échappatoire sera utilisée. […] Si cela montre quoi que ce soit, c’est que la coopération mondiale (l’action multilatérale) est absolument nécessaire. Que celle-ci soit initiée par le G7, intégrée par le G20 et élargie par la suite, mais c’est quelque chose qui doit être résolu.

La volonté de restriction est claire et se retrouve dans les discours et les actes de tous les dirigeants politiques. En France par exemple, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a proposé, le 9 décembre dernier, une ordonnance visant à « renforcer la lutte contre l’anonymat des transactions en crypto-actifs » sous prétexte d’assécher les circuits de financement du terrorisme. Il semble donc que la réglementation est inéluctable et qu’une raison justificative (valide ou non) pourra toujours être trouvée pour mystifier le grand public.

Bienvenue en enfer avec Bruno Le Maire

Ceci nous amène donc à la question qui nous intéresse : Quelles réglementations pourraient être mises en place par les États dans les années à venir ? La tâche prédictive n’est pas aisée, mais on peut néanmoins dresser une liste de ces potentielles mesures en regardant comment se sont comportés les États au cours des années passées. Notez que cette liste n’est pas exhaustive, car elle ne peut pas refléter pleinement le génie impénétrable des législateurs quand il s’agit de mettre des bâtons dans les roues de leurs compatriotes.

Tout d’abord, la connaissance du client (KYC) et les normes d’anti-blanchiment (AML) des plateformes d’échange pourraient être renforcées. Une manière de faire serait d’appliquer la « règle du voyage » (« travel rule ») à la détention de cryptomonnaie en imposant aux plateformes de vérifier l’adresse de retrait de leurs clients. Portée par le Groupe d’action financière (GAFI), cette règle a déjà été reprise depuis quelques temps par la FINMA en Suisse. Fin 2020, elle a été poussée aux États-Unis par le FiNCEN et par l’administration Trump, ce qui a provoqué l’indignation de la communauté, et notamment de Brian Armstrong.

Puis, une taxe à taux fixe sur la cession de bitcoin pourrait être mise en place, dans le but d’annihiler sa propension à servir de monnaie d’échange. C’est par exemple aujourd’hui le cas de l’or physique en France, qui est taxé à 11,5 % à chaque revente. À côté de cette flat tax des échanges, on pourrait également voir d’autres prélèvement apparaître, comme un impôt direct sur la fortune possédée en bitcoin.

Ensuite, une réglementation des différents services utilisant Bitcoin, y compris les commerçants, pourrait se faire. Les mêmes conditions de conformité (compliance), comme la connaissance du client, seraient demandées à chaque processeur de paiement, à chaque plateforme de jeu en ligne, à chaque boutique physique, etc. C’est d’ailleurs déjà le cas de BitPay qui, depuis le début de l’année 2021, demande à ses clients européens de s’incrire et de vérifier leur identité avant de pouvoir effectuer un achat. On peut aussi le service BottlePay qui refuse de traiter les bitcoins « anonymisés » issus de mélanges avec d’autres utilisateurs.

Enfin, la réglementation du minage pourrait être considérablement resserrée. Aujourd’hui, les mineurs sont assez libres et peuvent traiter toutes les transactions. Néanmoins, à l’avenir, ils pourraient recevoir une liste noire de transactions à ne pas miner, comme les transactions qui bougent les bitcoins dits « sales », provenant d’activités illicites assimilées. Cette interdiction de miner certaines transactions pourrait par la suite se transformer en une interdiction d’accepter les blocs contenant ces transactions, ce qui serait alors une censure active. On voit déjà les prémisses d’une telle réglementation émerger avec le « minage de blocs propres » proposé par une association des mineurs nords-américains. Dans certains pays, cela va même plus loin : le Venezuela a par exemple interdit le minage se faisant hors de sa coopérative nationale.

À terme cela pourrait mener les États et les institutions internationales à mener une guerre directe contre Bitcoin. La détention, l’utilisation ou le minage pourraient tout simplement être rendus hors-la-loi, tel que cela a déjà été fait dans plusieurs pays, dont l’Égypte, le Népal ou la Bolivie.

Cette interdiction pourrait s’étendre à la plupart des pays développés. Ces États coopéreraient par l’intermédiaire du FMI, dont le but est d’assurer la stabilité du système monétaire mondial, ou bien du GAFI, qui lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Les États refusant d’appliquer les mesures pourraient devenir des « États voyous » qui subiraient des sanctions économiques de la part des premiers. Une telle coopération s’est déjà vue, comme par exemple contre l’Iran aujourd’hui : le 21 février 2021, le GAFI a appelé ses 39 États-membres à « appliquer des contre-mesures » contre ce pays qui refuse d’appliquer les normes de lutte contre le terrorisme, ce qui a renforcé au passage les sanctions déjà appliquées des États-Unis.

En parallèle, une version « acceptable » du protocole pourrait voir le jour. D’abord, cela se ferait de manière discrète : l’État pourrait par exemple prohiber les transactions de mélange (dites « CoinJoin ») au nom de la lutte contre le blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme. Puis, il lui viendrait peut-être l’idée de prélever l’impôt directement au niveau du protocole en imposant une taxe fixe sur toutes les transactions (sorte de TVA) et une taxe sur les montants ne bougeant pas (demeurage). À ce stade, ceux qui resteraient se diraient « pragmatiques » en se racontant qu’au moins la politique monétaire du bitcoin aurait tenu. Néanmoins, jouissant d’une emprise totale, l’État n’hésiterait pas alors à transformer « Bitcoin » définitivement en imposant que toute transaction nécessite sa signature (censure) et en s’autorisant à créer de nouveaux bitcoins (seigneuriage), brisant ainsi la règle des 21 millions et privant Bitcoin de sa substantifique moelle.

Ce scénario pessimiste est hypothétique, mais découle des actions qu’ont réalisé les États par le passé. Si l’on imagine parfois que certains États ne tomberont pas dans la « réglementation punitive » et profiteront de cette « innovation technologique », on n’a pas conscience de ce que ceci implique : un État faisant ceci perdrait non seulement sa capacité à se financer convenablement, mais aussi son aptitude à faire du commerce autour du monde, subissant alors les sanctions du conglomérat étatique opposé.

Toutefois, cela ne veut pas dire que Bitcoin n’a aucune chance, au contraire. Bitcoin est spécifiquement conçu pour résister à l’intervention des États et constitue une tentative de construire une alternative robuste au système monétaire actuel. Il faudra donc qu’il se frotte à la réglementation lente et pernicieuse qui tentera de l’immobiliser, et qu’il sorte gagnant de la bataille qui se déroule aujourd’hui.

 

Bitcoin peut-il résister ?

Bitcoin est un concept qui permet de transférer de la valeur « sans passer par une institution financière ». Il s’oppose donc par nature à la réglementation, qui n’est que l’introduction de tiers de confiance dans le processus. La réglementation est l’antithèse de ce qu’est Bitcoin et, en tant que telle, ne peut que lui nuire à long terme.

Il y a un jeu du chat et de la souris qui se déroule et ne s’arrêtera probablement jamais. Les représentants de l’autorité étatique ne seront jamais satisfaits de la réglementation et en demanderont toujours plus ; et les partisans les plus zélés de la liberté s’opposeront toujours aux restrictions et chercheront à les contourner par différentes méthodes. Puisque l’État est une énorme machine dotée d’une grande inertie, ses opposants auront toujours une longueur d’avance. Néanmoins, l’État peut frapper très fort et toute résistance doit être d’autant plus ferme si elle veut triompher.

Bitcoin est un outil permettant aux individus de s’opposer à la tendance au contrôle de la monnaie. Par des actions individuelles bien précises, il est possible de faire en sorte que le système survive à toute tentative de réglementation : Bitcoin est conçu de telle sorte que les individus peuvent accepter et miner du bitcoin de manière anonyme. Le problème est de faire comprendre la situation à ces individus et de les mobiliser : plus d’individus participent, moins le risque de participer est grand.

Aujourd’hui, nous assistons malheureusement à un délitement de la communauté dans la complaisance. Alors que le prix du bitcoin monte, son éthos originel s’affaiblit. Les mèmes sur la montée du prix pullulent (« to the moon », « number go up », « have fun staying poor »), tandis que ceux qui valorisent la révolution monétaire de Bitcoin périclitent, n’étant pas compris par la masse.

Morpheus Neo Bitcoin millions

La réglementation a bonne presse et beaucoup y voient une manière de légitimiser Bitcoin, d’améliorer son image auprès du grand public. Michael Saylor, qui a acheté près de 100 000 bitcoins par le biais de son entreprise, est présenté comme un héros et est devenu en quelques mois un meneur idéologique très écouté dans la communauté, alors même qu’il s’oppose ouvertement à la résistance à la censure et à l’anonymat3. De même, il y a un enthousiasme autour des institutionnels qui achètent du bitcoin (millionnaires, fonds d’investissement, banques, États), alors que ceux-ci méprisent en partie la proposition de valeur de Bitcoin, y voyant seulement un « actif financier non corrélé », une « valeur refuge contre la dévaluation de la monnaie » ou un « or numérique » devant rester dans des coffres sécurisés.

Il ne s’agit pas d’une chose nouvelle : le tendance remonte au moins à 2012, année durant laquelle les frères Winklevoss ont investi énormément. Si elle pose souci aujourd’hui, c’est à cause de son importance.

Il s’agit en effet d’une question d’équilibre. Tant qu’une majorité de la communauté reste fidèle aux principes de base de Bitcoin, il n’y a pas de problème à voir des gens investir des millions : au contraire, cela a apporté de la richesse à ceux qui ont été assez fous pour se procurer du bitcoin à ses débuts. Néanmoins, un déséquilibre trop grand pourrait mener à des perturbations majeures, ce qui nuirait à Bitcoin de manière considérable.

On peut ainsi tout à fait imaginer qu’en cas de conflit les millionnaires et les fonds d’invetsissement se rangeraient derrière la législation, ceux-ci n’ayant pas les mêmes valeurs que les bitcoineurs authentiques. Dans le cas d’une scission entre un « Bitcoin » légal (mais altéré) et d’un Bitcoin illégal (mais préservé), alors tous ces investisseurs institutionnels n’hésiteraient pas à vendre leurs bitcoins illégaux durant la transition, rendant majoritaire la version légale de « Bitcoin » au niveau du prix et du taux de hachage, qui pourrait alors devenir le « Bitcoin » valide aux yeux du grand public.

Si l’on veut que Bitcoin résiste à la réglementation, il faut cultiver la résilience des marchands et des mineurs et éduquer la communauté sur la question. C’est pour cela qu’il est recommandé aux utilisateurs de détenir leur propre cryptomonnaie (« not your keys, not your coins »), de faire attention à leur vie privée, et si possible de faire tourner leur propre nœud (« don’t trust, verify »). C’est aussi pour cela que l’accent est tant mis sur la décentralisation et la souveraineté, et qu’il existe tant de suspicion à l’encontre des plateformes d’échange et des coopératives de minage, qui forment des points d’agrégation très sensible aux directives imposées par les États. Si l’on veut que Bitcoin reste dominant, les nouveaux arrivants doivent être convertis à l’esprit du projet originel.

Il est enfin nécessaire de bien définir Bitcoin, au cas où la corruption deviendrait trop importante. Il n’est en effet pas impossible que le Bitcoin que vous défendez aujourd’hui soit un jour minoritaire du point de vue du prix. Le définir à partir du protocole actuel (BTC) n’est pas une bonne solution : si une amélioration de Bitcoin est implémentée (à l’instar de Taproot par exemple), ne reste-t-il pas Bitcoin ? Tout comme le bateau de Thésée reste lui-même alors que toutes ses parties ont été remplacées, Bitcoin reste lui-même par la préservation de ses propriétés principales, pas des détails de son protocole.

C’est pourquoi Bitcoin gagnerait à être décrit comme un concept (ou un ensemble de principes) défini dans le livre blanc, qui fait autorité dans le milieu et qui contient toutes les propriétés fondamentales comme la preuve de travail ou la quantité fixe d’unités4. Une telle définition atténuerait en effet toute capture du protocole par un État, en donnant au grand public une définition claire de Bitcoin pour qu’il soit moins influencé par la propagande à l’avenir.

 

Conclusion

Ainsi, la tendance actuelle à la réglementation constitue un risque pour Bitcoin et il ne faut pas le négliger. Si les États n’ont pas trop réagi pour le moment, c’est que leur financement via l’impôt et l’inflation, n’a pas encore été assez menacé. C’est pour cela que nous devrions nous préparer à la guerre réglementaire contre Bitcoin qui s’annonce.

Quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas aujourd’hui au point de non-retour et je reste persuadé que Bitcoin peut sortir victorieux de cette guerre. Même si la tendance à tolérer la réglementation au sein de la communauté est forte, il y a encore beaucoup d’individus résilients prêts à faire les efforts nécessaires pour que Bitcoin ne sombre pas dans l’apathie. Le rêve de liberté monétaire, lui, ne mourra jamais.

 


Notes

1. Dans la Déclaration unanime des treize États unis d’Amérique, il est écrit :

Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par leur Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur.

La Constitution des États-Unis d’Amérique, elle, a pour préambule la phrase suivante :

Nous, Peuple des États-Unis, en vue de former une Union plus parfaite, d’établir la justice, de faire régner la paix intérieure, de pourvoir à la défense commune, de développer le bien-être général et d’assurer les bienfaits de la liberté à nous-mêmes et à notre postérité, nous décrétons et établissons cette Constitution pour les États-Unis d’Amérique.

2. À partir de juillet 2010, les documents confidentiels révélés de WikiLeaks ont commencé à être relayés par les grands médias et à impacter l’opinion publique. Suite à cela, l’organisation a rencontré des problèmes avec PayPal et d’autres services financiers, problèmes qui ont conduit en décembre 2010 à un blocus financier de la part de Bank of America, Visa, Mastercard, PayPal et Western Union. Il lui a été suggéré d’accepter le bitcoin pour les donations, ce qu’elle a fait le 15 juin 2011, après mûre réflexion.

3. Michael Saylor, le PDG de Microstrategy, a en effet exprimé à de multiples reprises son mépris pour la résistance à la censure et la confidentialité, notamment en déclarant que « c’étaient des mauvaises idées ». Il considère ainsi le bitcoin comme une réserve de valeur et non comme une devise ou un moyen de paiement qu’il faut réglementer.

Il n’est pas le seul investisseur dans ce cas, et Raoul Pal, PDG de Real Vision Group et Global Macro Investor, a par exemple tenu des propos similaires :

Si vous pensez que le secret vis-à-vis des États et l’absence de KYC est l’avenir des bitcoins, vous ne comprenez pas à quoi ressemble l’adoption. Ils le réglementeront. Vous allez le déclarer. Vous devrez procéder à un KYC et c’est très bien. Cela ne retire pas sa [fonction de] réserve de valeur, mais ne fait que l’intégrer.

4. Selon cette définition, les protocoles alternatifs comme Litecoin, Monero, Bitcoin Cash ou même Bitcoin SV sont des implémentations plus ou moins fidèles de Bitcoin. BTC reste bien entendu la version dominante du concept et peut donc être appelée Bitcoin sans qu’il n’y ait d’ambigüité.


Sources

Dustin Dreifuerst, The Coming Bitcoin War, 22 septembre 2020.
Eric Voskuil, Cryptoeconomics, 2021.

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